Ces derniers jours un événement qui est resté relativement discret sur la toile, a été révélé par le principal intéressé : Google, cette pieuvre qui étend ses tentacules dans toutes les directions (paiement, voiture autonome, cloud, browsers, réseaux sociaux, réseau fibre, services de réservations, musique, vidéo, ...) a fait signer une recrue plus qu'emblématique. Il s'agit en effet du controversé mais très influent Ray Kurzweil, l'un des gurus du transhumanisme.
Autant dire que chez Google on passe à des choses très sérieuses. (édit : depuis la rentrée, les grands sites se sont mis à relayer l’info).
NAO, le petit robot d'AldebaranQui dit transhumanisme dit en premier lieu robotique, terme inventé sans le savoir par Isaac Asimov au début des années 40 (le terme robot fut lui imaginé par Karel ?apek). Généralement il évoque la science-fiction pour le néophyte, mais rarement ce terme évoque réellement le quotidien d'aujourd'hui. Après avoir largement équipé ses usines, l'industrie creuse maintenant vers le grand public dans la direction du M2M (material to material, internet of thing), bref tout ce qui se connecte et automatise votre quotidien, en passant le plus souvent par les smartphones. Et avant d'approfondir le sujet Google, je vous invite à revoir quelques infos en survol.
La France a du retard sur l'équipement, le nombre de robots industriels serait d'environ 34 000 (ce qui reste beaucoup moins que l'Allemagne qui en compterait 144 000). Ce nombre est de toute évidence destiné à amplifier le temps passant. La robotique prend de multiples formes et, si bien des robots actuels sont des éléments encore contrôlés par des humains, les progrès en autonomie et en intelligence artificielle commencent à devenir réellement significatifs.
NAO et ROMEO très en vogue, sont par exemple des modèles français développés par Aldebaran Robotics, tout comme le mythique ASIMO. Donc cocorico, on est malgré tout bien placé coté ingénierie.
On observe de plus en plus de projets de robots assistants aboutis : dans le médical comme dans le militaire (surtout avec ses drones et Humanoïdes de la DARPA) ou pour la sécurité civile, la robotique repousse petit à petit les frontières des fantasmes.
Pour illustrer cette course, quelques événements notables que je trouve éloquents :
Dans les logiciels et jeux vidéos, les robots autonomes, drones, ou même les voitures, l'intelligence artificielle est une donnée essentielle pour l'autonomie en environnement dynamique. Bien des sociétés prospectent les services qui découleront de ces automates, afin de sortir la robotique de l'hôpital, de l'industrie et des niches où ils sont encore cantonnés pour les mettre dans la rue, dans les maisons… partout. Les Googles cars sont un symbole très frappant avec ses voitures automatisées qui circulent à présent dans plusieurs états américains sans incidents notables. On commence à les trouver dans les services domestiques, dans les loisirs, dans l'assistance à la personne… Le maître mot devient l'interaction machine / homme.
Et les chercheurs avancent toujours plus dans leurs recherches d'intelligence artificielle, que ce soit par l'approche logicielle, l'approche physiologique... de façon à atteindre l'Intelligence Artificielle complète, et pourquoi pas la conscience artificielle. Le dernier exemple en date étant ce cerveau artificiel simulé SPAUN qui compte 500 000 neurones, là ou l'homme en compte 1 milliard, ce qui laisse de la marge. Mais un jour un robot pourra (probablement) se dire "cogito ergo sum" et s'interrogera sur son MOI, le doute étant une caractéristique humaine cela ouvrira une réflexion sur une post-humanité. (Je ne m'étendrais toutefois pas sur la notion de vie artificielle chère à Christopher Langton, mais vous invite à le faire.)
Image provenant de www.humanoides.frDonc avant de proposer le robot philosophe, les start-up et les industries de pointes s'intéressent d'abord à des orientations pratiques en ayant à l'esprit que l'homme va s'appuyer de plus en plus sur la machine pour déléguer les actes du quotidien. On l'a vu avec les premiers "robots ménagers", surtout les robots et tondeuses automatiques.
Mais ce sont les smartphones qui marquent un point de départ considérable à la délégation de la mémoire, de ce temps et à cette centralisation digitale de l'information. Vient alors le temps de l'immersion dans le monde réel de ces services : des appareils ménagers intelligents, communiquant (M2M, IOT), des voitures auto pilotées, des robots de soins (plus de 240 000 personnes opérées dans le monde en 2012 - un truc de riche oui, pour l'instant). Dans un premier temps en complément du service humain, puis dans un second temps seul avec suffisamment d'adaptation et de souplesse à l'environnement pour arriver à la totale autonomie.
Le smartphone est pour l'instant une excroissance, une prolongation du cerveau, mais le rapprochement physiologique paraît inéluctable. Elle est déjà en cours dans les solutions médicales pour les infirmes et handicapés (moteur, visuels, etc.). Quand l'invalide deviendra plus performant que le valide, ce dernier sera pris dans une surenchère (malheureuse probablement, je ne peux me prononcer) et voudra compenser ce biologique, synonyme paradoxal d'infirmité.
Ainsi il est à prévoir des mouvements dans des pans entiers de la production, mais aussi des services à la personne, l'accueil, la vente, les soins… Les fantasmes de la science fiction où l'ouvrier, où l'hôtesse d'accueil sera remplacée par un androïde, commence à se profiler à l'horizon. Le vieillissement de la population est l'un des vecteurs de cette course au service automatisé individuel. Tout ceci s'inscrivant également dans les vieilles lunes marxistes (et surtout trotskistes) de la machine qui crée le temps libre, pour une population de plus en plus "oisive" subventionnée par un état social et régalien, dématérialisé. Ne souriez pas, regardez l'évolution des sociétés de l'OCDE depuis les années 50 (temps de travail raccourcis, vacances, retraites, soins, économie du sport, des loisirs et du sexe)
Comment anticiper un monde ou le travail ne sera plus le moyen courant de redistribution de la valeur ajoutée ? La dichotomie classique sera (est) pourtant respectée : les libéraux entreprennent la robolution, les "penseurs de gauche" l'anticipent en théorisant ce nouveau contrat social (Par honnêteté il faut toutefois que je rappelle aussi l'existence des affreux paradistes qui doivent tirer la bourre avec les scientologues sur le sujet)
Les sciences nano contribuent largement à cette "robolution" en cours. Les nanotechnologies permettent de concevoir de nouveau matériaux plus légers, plus souples, tout comme elles permettent d'optimiser la taille des moteurs et circuits intégrés. Et si pour l'heure la robotique est faite de silice, d'alliages et de plastiques, les nanotechnologies (et supraconducteurs) vont entraîner de nouveau paradigme vis-à-vis des matériaux utilisés. En complément de la Nano, des disciplines telles que les Biotechnologies, les technologies de l'Information ainsi que les sciences Cognitives (neurosciences) vont faire gagner des galons sociaux dans les prochaines décennies aux robots, et on assistera à une course convergente des solutions médicales aux défauts du vivant. Le mot cyborg présente encore une sonorité complètement fantasque pour le quidam et pourtant les expériences réussies se chassent les unes les autres. L'homme augmenté devient une réalité chaque jour plus tangible. D'ailleurs vous avez tous vu ces images :
Michel Serres a dit en interview récemment :
Les NBIC créent cette émulsion innovante et emmènent l'homme vers une perfection non-humaine, transhumaine… post-humaine ? S’agit-il là de la nouvelle grande révolution de l'humanité ? Et finalement, le futur a t-il besoin de l'homme ? (Ray Kurzweil thinks that intelligent robots are the ones that are going to colonize space--not humans. Will be extensions of us)
Credit: Photo by Gary Voth - Kurzweil Technologies, Inc.Si le logiciel à tendance à dévorer le monde et éteindre les anciennes industries, le hardware n'est pas (fort logiquement) de reste. Comme vu plus haut, le déploiement se fait chaque jour plus abouti, et après-demain arrivera la fusion hommes/machines. Les transhumanistes, le puissant lobby technologique, explore déjà les chemins y menant, notamment grâce à la Singularity University, cet organisme est une université que l'on peut qualifier de controverse. Elle a pour but de faciliter le développement des avancées technologiques exponentielles et leurs applications pour les utiliser afin de faire face aux grands défis de l'humanité (grâce aux fameuses NBIC). On peut retenir certains thèmes phares récurrents qui y sont abordés :
Il faut savoir que Google est un grand pourvoyeur de fond de cette institution (tout comme Linkedin, la NASA, Nokia Autodesk etc.) et Raymond Kurzweil y détient une chaire " Études prospectives et prévisions". Ainsi voir que le géant mondial de l'internet et du logiciel intègre LE chef de file de cette mouvance, pour y être nommé Chef d'innovation technologique, autant dire que cette nouvelle n'est pas anodine ni uniquement symbolique. Car si la firme de Mountain View est historiquement une entreprise "citoyenne", "sociale", "juste", bref avec une image plutôt positive (en dehors des secteurs économiques que Google siphonne bien sûr) il faut garder à l'esprit que cela est dû à ses cogérants historiques qui ont une culture "créative ethos" encore très affirmée, n'en sont pas moins des visionnaires à l'appétit débordant (traduction de citation de l'article artificialbrain) :
Enfin c'est là que je vous parle du Google X Lab, le fameux laboratoire à fantasme de Google dirigé par Sergueï Brin. Car non content de grignoter un monopole sur les OS mobile (avec son OS au nom si évocateur ANDROID) et surtout non content d'avoir une base Big Data monstrueuse avec ses 2 millions de serveurs pour ses recherches (reconnaissance vocale, d'image sur le net et en mobilité, sémantique, traduction, numérisation de livres, marketing et qualité de contenu, bref j'en passe), la société planche sur l'intelligence artificielle et les réseaux neuronaux, voire même sur de la robotique avancée. Pour l'instant de ce labo secret n'ont été rendus public que les projets Google cars et Glasses. Pour le reste, les fuites "officielles" parlent d'avatars robotique et de télé présence, du Web des objets, la "wifi" lumineuse, et l'ascenseur spatial (oui oui).
Mais l'histoire des sociétés montre que lorsque les fondateurs quittent la barque (décès, changement d'horizon…) la chanson change bien souvent, et il faudra voir à ce moment là ce que feront les "requins héritiers" d'un tel empire hégémonique. Des moyens de transport embarqués aux systèmes immersifs de communication, des packages de développement et des supports d'OS, les applications de commande neurologiques etc. que feront les politiciens face à cette hégémonie tentaculaire ? On ne parlera plus de journaux à protéger à ce moment-là… mais de civilisation : mais peut-être pas le monde selon Google.
Deux documentaires à voir absolument avant de conclure sur les annexes. En premier lieu "Un monde sans humains" puis "Robot sapiens" :